Le développement de la personne
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La résilience et l'art de Kintsugi.

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Le développement de la personne

Plus de cinq ans déjà… Avec le recul, je me souviens d’un enthousiasme certain pour la lecture de cet ouvrage. Ainsi, quand on parcourt les pages de mon exemplaire VF (je dispose aussi de la version originale de l’œuvre) soigneusement rangé dans ma bibliothèque, on constate qu’il est très coloré : j’ai eu envie de faire ressortir certaines phrases en les surlignant avec des feutres de plusieurs couleurs et en écrivant des annotations au crayon de bois. D’aucuns considèrent cela comme un sacrilège mais j’avais le cœur joyeux. Ces traces témoignent donc d’un élan enthousiaste certain 🙂

Livre
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🔗 https://www.amazon.fr/développement-personne-2ème-édition/dp/2100492381
TitreLe développement de la personne
Titre originalOn becoming a person
AuteurCarl Rogers
ÉditionInterEditions, Dunod
Parution2005 (1968 pour la première édition en langue française par Dunod).
TraductionE. L. Herbert.
PréfaceM. Pagès
Mots-cléslivre, œuvre, ACP, science, développement, personne, vie pleine, épanouissement, empathie, congruence, non directivité, expériencer, tendance actualisante, éducation, soin, psychothérapie, résilience

1. Présentation de l’auteur par lui-même

Pour se familiariser avec lui, pour nouer un lien, pour pouvoir l’écouter, l’auteur commence par se présenter. L’ouvrage débute donc par des notes personnelles et un chapitre autobiographique intitulé « Qui je suis ». On apprend ainsi que Carl Rogers naît le 8 janvier 1902 dans la banlieue de Chicago et grandit dans une ferme au sein d’un univers très traditionnel et a reçu une éducation stricte avec le respect des valeurs religieuses et des valeurs de l’effort et du travail. Enfant, il est fasciné par les papillons de nuit, lit un grand nombre d’ouvrage d’agriculture et s’initie à la méthode scientifique.

« J’appris combien il était difficile de vérifier une hypothèse. J’acquis ainsi la connaissance et le respect des études scientifiques à travers des travaux pratiques. »

Carl Rogers, Le développement de la personne, chap. 1 « Qui je suis », p. 6.

Après un séjour éclairant en Chine en 1922, il se libère totalement des opinions religieuses de ses parents puis renonce à l’idée de devenir pasteur. C’est aussi à ce moment qu’il épouse une jeune fille qu’il connait depuis son enfance.

« Il me parut épouvantable d’être obligé d’accepter un certain nombre de croyances, pour pouvoir demeurer dans la profession. J’eus le désir de travailler dans un domaine où je serais sûr que ma liberté de penser ne serait pas restreinte. »

Carl Rogers, Le développement de la personne, chap. 1 « Qui je suis », p. 7-8.

Intéressé par les cours et les conférences de psychologie et de psychiatrie, il s’oriente alors vers la psychologie en entrant à l’Ecole Normale de l’université de Columbia comme interne à l’institut d’orientation psycho-pédagogique. Il obtient son doctorat en 1931. A la fin de son internat, il trouve un poste au Child study department de l’association pour la protection de l’enfance à Rochester à New-York. Etudiant puis psychologue, il remet en cause la doctrine psychanalytique freudienne.

« […] j’absorbais le point de vue dynamique de Freud, qui m’apparut comme étant en opposition profonde avec l’attitude rigoureuse, scientifique, absolument objective, et fondée sur la statistique pure. »

Carl Rogers, Le développement de la personne, chap. 1 « Qui je suis », p. 8.

En exerçant son travail de psychologue, il fait ce constat :

« […] c’est le client lui-même qui sait ce dont il souffre, dans quelle direction il faut chercher, ce que sont les problèmes cruciaux et les expériences qui ont été profondément refoulées. Je commençai à comprendre que si je voulais faire plus que démontrer mon habileté et mon savoir, j’aurais à m’en remettre au client pour la direction et le mouvement du processus thérapeutique. »

Carl Rogers, Le développement de la personne, chap. 1 « Qui je suis », p. 10.

Durant ces douze ans à Rochester, il devient père et décide alors de publier le livre Clinical Treatment of the Problem Child. Puis, il accepte un poste à l’université d’Ohio. Il prend alors conscience d’avoir élaboré une théorie très personnelle. Il rédige ainsi le manuscrit de Counseling and Psychotherapy. Il y reste cinq ans, puis douze à l’université de Chicago, et quatre à l’université du Wisconsin. Il publie de nombreux articles et ouvrages. Parmi eux, je cite : Client-centered Therapy : Its current practice, implications and theory., On becoming a person (Le développement de la personne pour la version française), A Way Of Being. Il anime et participe à de nombreux groupes de rencontre, ateliers et workshops à travers le monde, facilitant les relations interpersonnelles et contribuant ainsi à la paix.

« Au cours des vingt dernières années, je me suis habitué à être sans cesse attaqué, mais je continue à être étonné par les réactions que suscitent mes idées. Je suis conscient de les avoir toujours énoncées comme sujettes à révision et comme pouvant être acceptées ou rejetées par le lecteur ou par l’étudiant, et pourtant mon point de vue a soulevé de la part des psychologues, conseillers psychologiques et enseignants, des critiques virulentes et méprisantes. »

Carl Rogers, Le développement de la personne, chap. 1 « Qui je suis », p. 13.

« Ma femme et moi avons trouvé des lieux de retraite isolés au Mexique et dans les îles Caraïbes, où personne ne sait que je suis psychologue et où mes principales occupations sont la peinture, la natation, la pêche sous-marine et la photographie en couleur. »

Carl Rogers, Le développement de la personne, chap. 1 « Qui je suis », p. 13.

Carl Rogers s’éteint le 4 février 1987 à l’âge de 85 ans.

2. Partage de trois notions

J’allume à présent trois flammes sur des mots, des expressions qui m’ont parlé, qui m’ont fait sens.

2.1. La « non-directivité »

La première notion est présente dans notre quotidien : elle questionne le but de nos actions, le sens que l’on y met ou pas, la logique ou l’absurdité de nos actes, l’engagement ou la retenue de nos entreprises. La première étincelle est donc la notion de non-directivité dans l’échange, dans l’écoute.

La non-directivité, c’est laisser à la personne écoutée la liberté de s’exprimer et de choisir par elle-même le cours de son expression. Je la comprends aussi comme une marque de confiance dans la relation interpersonnelle : la personne en difficulté, qui a besoin d’aide, peut être désespérée, en souffrance, en errance mais pas impotente et donc demeure la personne la mieux placée pour savoir les ressources dont elle dispose et donc pour choisir où aller.

2.2. Le verbe « expériencer »

Le deuxième éclat lumineux est le verbe expériencer, un néologisme que l’on trouve dans le livre et qui me plaît beaucoup. Le verbe ‘experience’ en anglais signifie « faire une expérience profonde », qui a un sens affaibli dans la traduction française : « faire une expérience ». La notion de profondeur de l’expérience vécue est délitée. Le néologisme ‘expériencer’ est donc utilisé pour traduire la différence entre ‘être l’expérience’ et ‘faire une expérience’. Le mot est lumineux à mes yeux car je dirais de moi que j’expérience souvent et j’adore le faire.

2.3. La « tendance actualisante » et la métaphore de la patate

S’illumine à présent la troisième brindille flamboyante. La tendance actualisante fait référence au potentiel de transformation et d’évolution de chaque personne inscrit au plus profond de son être. En voulant en savoir plus sur ce concept, notamment en consultant la bibliothèque numérique cairn.info, j’apprends que Carl Rogers utilise, en langage plus imagé, la métaphore de la patate. Cette histoire est une métaphore mais elle est sans doute basée sur une observation réelle de Carl Rogers.

En effet, toute patate a pour tendance actualisante de produire une belle plante pleine de tubercules. Mise dans de bonnes conditions, une terre fertile avec des nutriments, elle pourra se réaliser pleinement. Dans un environnement hostile comme celui d’une cave, la patate tente de se réaliser en lançant des germes vers la lumière.

A l’image de cette pomme de terre, tout être humain est doté d’une capacité innée à réaliser ses potentialités qui sont positives, rationnelles et orientées vers la socialisation. Il faut donc comprendre le comportement apparemment bizarre, futile, ou même violent d’une personne comme un effort pour se réaliser, même si cette réalisation n’atteint pas une expression normale à cause de la toxicité alentours.

Ce qui a fait dire à Carl Rogers :

“When I look at the world I am pessimistic, but when I look at people I am optimistic.”

Une traduction française :

« Quand je regarde le monde, je suis pessimiste, mais quand je regarde les gens, les personnes, je suis optimiste. »

Donc, à la personne de pouvoir se doter d’un « terreau » favorable à son développement personnel, afin qu’elle puisse faire l’expérience de ses potentialités en toute sécurité et redécouvrir ainsi sa tendance actualisante.

Comme Rogers, j’ai l’intime conviction que le cœur de l’humain est positif, que l’essence de vie est une opportunité de croissance, de développement. Ce qui explique que la position « L’être humain est par nature violent », pourtant assez partagée dans notre société, mais donc fausse !, me froisse, m’indispose fortement : je pense amèrement au café philo La non-violence, jusqu’où ? auquel j’ai assisté. De plus, en mon for intérieur, elle fait écho à la question philosophique : « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? ». Pourquoi la vie, ou plus précis, l’élan vital, et pas l’état constant de mort ?

3. L’ACP (Approche Centrée sur la Personne)

A présent, je partage ce que j’estime être une clé, car, à mon avis, elle  permet d’ouvrir des portes, notamment celles du cœur de l’être humain.

3.1. Les conditions nécessaires et suffisantes pour que se déclenche un processus de changement chez une personne

Dans le cadre d’une thérapie ou d’une relation d’aide, voici les six conditions nécessaires et suffisantes pour que se déclenche un processus de changement chez une personne :

  1. Deux personnes doivent être en relation : c’est le contact psychologique ou personnel, « psychological contact » en version originale.
  2. La personne aidée, doit être dans un état de non congruence, d’anxiété ou de vulnérabilité.
  3. L’autre personne intervenante, thérapeute ou aidante, doit être congruente durant le temps de ce contact interpersonnel.
  4. La personne thérapeute ou aidante doit éprouver une considération positive inconditionnelle vis-à-vis de la personne aidée.
  5. La personne thérapeute ou aidante doit expériencer une compréhension empathique du monde intérieur de la personne aidée et de son cadre de référence, et elle doit s’efforcer de communiquer cette compréhension à la personne aidée.
  6. Il est enfin nécessaire que la personne aidée perçoive, même de manière infime, ces trois attitudes facilitatrices de la personne thérapeute ou aidante : la congruence, la considération positive inconditionnelle et l’empathie, c’est-à-dire les trois conditions précédentes.

J’ai tenu à reformuler à ma manière les conditions du processus de changement, telles que je les ai comprises, avec mes propres mots. J’ai souhaité voir notamment apparaître les termes expériencer, éprouver, aidante, interpersonnel, compréhension, facilitatrice. Avec un risque possible de légère déformation que j’ai choisi de prendre et que j’assume pleinement. Les conditions du processus de changement avec les mots du livre sont mentionnées dans le chapitre 11 de l’ouvrage : « Un apprentissage authentique en thérapie et en pédagogie » (pages 193-194).

Dans le cadre d’une thérapie, on désigne cette démarche par l’appellation « Approche Centrée sur la Personne », ou plus brièvement avec le sigle ACP. Pour en savoir plus, lire l’article Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Approche_centrée_sur_la_personne

3.2. Une remarque sur les conditions nécessaires et suffisantes

Je partage à présent une remarque sur ces conditions nécessaires et suffisantes pour le processus de changement chez une personne. Dans l’ouvrage de Carl Rogers, il n’en est mentionné que cinq. J’ai ajouté le contact psychologique à la liste en passant en revue différents articles sur le sujet. En fait, toutes les conditions, excepté la première, celle de contact, sont expériencées à des degrés variables. Et, donc, la première condition était considérée et présentée comme une alternative par le psychologue américain : elle peut être présente ou non. Peut-on en déduire qu’elle est la seule à ne pas être nécessaire ? Les qualificatifs « nécessaires et suffisantes » pour les conditions du processus sont ainsi discutés par des évaluations critiques dans la cadre de la recherche scientifique pour améliorer, apporter des ajustements aux thérapies et techniques de soins existantes. On peut aussi estimer que la première condition est un prérequis, une pré-condition à inclure dans la liste, parce que, sans elle, les autres conditions n’auraient pas de sens.

4. Le changement de la personnalité en psychothérapie

4.1. Avec une démonstration vérifiable expérimentalement

Dans l’ouvrage, Carl Rogers ne se contente pas de partager ses expériences, ses pensées, ses idées, il fournit des preuves, une démonstration vérifiable expérimentalement avec une méthode rigoureuse. J’ai été donc particulièrement enchantée de lire le chapitre 9 de l’ouvrage : « le changement de la personnalité en psychothérapie » car Carl Rogers partage dans les grandes lignes le plan d’investigation de la psychothérapie et livre ainsi une démonstration rigoureuse du plan de recherches avec deux procédés de contrôle. Grâce à ce double contrôle, on a la garantie de l’efficacité du traitement thérapeutique. Les bienfaits et les effets de la psychothérapie sont observables, mesurables, quantifiables, la guérison n’est pas aléatoire et ne dépend pas d’éléments variables. La scientifique et la zététicienne que je suis est ravie par la démarche de Carl Rogers.

De plus, avec ce plan de recherche, on peut noter que l’on peut sans cesse évaluer la thérapie rogérienne avec à la clé des consignes, des recommandations à suivre pour la personne thérapeute ou aidante qui permettent l’amélioration du bien-être, de la qualité des soins pour la personne à aider. 

4.2. Des limites, des restrictions ?

Des limites, des restrictions à cette démarche de soins ? En fait, elles viennent principalement des besoins et des attentes de la personne qui requiert de l’aide. Les personnes qui souffrent de phobies ou d’une difficulté spécifique comme une addiction ne tireront pas de profit immédiat. L’aide est possible mais requiert du temps alors que d’autres techniques de soins ont fait leurs preuves comme par exemple la technique de l’exposition progressive à l’objet phobique. De plus, les conditions du processus de changement doivent être présentes a minima car elles sont nécessaires. Si le contact psychologique ne peut pas se faire à cause d’une pathologie extrême, si aucune communication sur les émotions n’est possible, le processus de changement sera difficilement réalisable. Pour moi, l’existence du cadre est tout à fait rassurante. Je suis toujours méfiante des théories ou méthodes qui promettent monts et merveilles ou sans mettre en avant un cadre et des restrictions. D’ailleurs, il n’existe à ce jour aucune théorie scientifique absolue.

5. La notion de « vie pleine »

5.1. Le plein fonctionnement d’une personne

Dans le chapitre 7 : « Qu’est-ce qu’une vie pleine ? Le plein fonctionnement de la personne : point de vue personnel d’un thérapeute. », Carl Rogers traite, selon ses mots, « le concept de la personne fonctionnement pleinement ». Dans ces pages sont traitées les idées suivantes : la définition de la vie pleine, liberté et déterminisme, la créativité comme élément de la vie pleine, la nature humaine est fondamentalement digne de confiance, plus grande richesse de vie.

5.2. Une description positive et une définition de Carl Rogers

D’abord, Carl Rogers partage son sentiment et donne une description positive :

« La vie pleine est un processus, non un état. C’est une direction, non une destination. »

Carl Rogers, Le développement de la personne, chap. 7 Qu’est-ce qu’une « vie pleine » ?, p. 132.

Puis, il donne sa définition :

« La vie pleine, d’après mon expérience, est le processus de mouvement dans une direction que choisit l’organisme humain quand il est libre intérieurement de se mouvoir dans n’importe quelle direction, et les traits généraux de cette direction choisie semblent avoir une certaine universalité. »

Carl Rogers, Le développement de la personne, chap. 7 Qu’est-ce qu’une « vie pleine » ?, p. 132.

5.3. Mon regard personnel sur la notion de vie pleine

J’ai déjà eu ce terrible sentiment que trop peu de gens en définitive vivent leur vie. Les personnes existent, survivent mais ne vivent pas, mais ces personnes ne s’en rendent pas compte… car elles ne sont pas libres, y compris de le penser.

Chapitre très parlant car… En regardant mon chemin de vie personnel, je peux faire le constat que la plénitude de ma vie varie selon le degré de liberté dont j’ai pu disposer. A chaque fois que je me suis sentie libre, j’ai pu développer mes talents, faire croître mes compétences et créer dans une joie rayonnante. Malgré les drames, les ruptures, les injustices, ma vie est bien pleine : je suis rayonnante de vie.

6. Enseigner et apprendre

6.1. Le processus d’apprentissage

En tant que personne aimant apprendre, aimant découvrir de nouvelles connaissances, j’ai trouvé un profond écho en lisant le chapitre 10 de l’ouvrage : « Enseigner et apprendre » Réflexions personnelles. Comment passer du non-savoir au savoir ? Il m’apparaît que le processus d’apprentissage n’est pas un long fleuve tranquille.

A la fin de mes études, je me suis ainsi déjà posé des questions de cette nature : « Malgré la motivation, comment peut-on ne pas être en état d’apprendre ? », « Comment peut-on aider à apprendre, à comprendre ? », « Ce que l’on comprend, ce que l’on saisit dépend-il vraiment de l’enseignant·e, de la pédagogie utilisée pour transmettre le savoir ou de l’aptitude personnelle de l’élève à recevoir la connaissance dans un contexte précis pour que l’apprentissage, la transmission du savoir puisse avoir lieu ? ».

Petit aparté personnel : le chapitre m’a parlé et il m’a aussi… fait rire. En effet, après sa lecture, j’ai été prise d’une crise de fou rire ; en quittant ma chambre d’hôtel pour rejoindre le restaurant à l’heure du déjeuner, j’ai dû interloquer les touristes de passage. La nuit, j’ai rêvé que je prenais l’avion pour les Etats-Unis, que j’assistais à ce séminaire à Harvard et que je riais en voyant la tête des pédagogues présents en train d’écouter Carl Rogers. Du rire mais pas de moquerie car le sujet est tout à fait sérieux. Je suis persuadée à l’heure actuelle que je me serais arrangée pour y assister si le même devait avoir lieu.

6.2. Partage sur un séminaire de Carl Rogers sur l’enseignement en classe

De quoi je parle ? Quel séminaire ? En fait, Carl Rogers a été invité à participer à un séminaire organisé par l’Université de Harvard sur le thème suivant : « Comment l’enseignement en classe peut-il influencer le comportement humain ? ». Je partage quelques réponses du psychologue américain :

« Mon expérience m’a conduit à penser que je ne puis enseigner à quelqu’un d’autre à enseigner. »

Carl Rogers, Le développement de la personne, chap. 10 « Enseigner et apprendre » Réflexions personnelles, p. 185.

« J’en suis arrivé à croire que les seules connaissances qui puissent influencer le comportement d’un individu sont celles qu’il découvre lui-même et qu’il s’approprie. »

Carl Rogers, Le développement de la personne, chap. 10 « Enseigner et apprendre » Réflexions personnelles, p. 185.

« Ces connaissances découvertes par l’individu, ces vérités personnellement appropriées et assimilées au cours d’une expérience, ne peuvent pas être directement communiquées à d’autres. »

Carl Rogers, Le développement de la personne, chap. 10 « Enseigner et apprendre » Réflexions personnelles, p. 185.

« La conséquence de qui précède, c’est que mon métier d’enseignant n’a plus pour moi aucun intérêt. »

Carl Rogers, Le développement de la personne, chap. 10 « Enseigner et apprendre » Réflexions personnelles, p. 186.

Après ce partage qu’il appelle des essais d’explications basés sur son expérience d’enseignant et de la pratique de la thérapie individuelle et collective, il écrit qu’il n’est effrayé que lorsqu’il considère les conséquences de ce constat : « renoncer à tout enseignement », « abolir les examens », « abolir les diplômes et mentions. », entre autres […].

Je partage le même constat et les mêmes conséquences de ce constat. J’ai toujours pensé que les pédagogies d’enseignement et les évaluations telles qu’elles étaient pensées actuellement ne servaient à rien. Je tiens à signaler que je suis titulaire de plusieurs diplômes post-bac : un diplôme de technicienne en électronique, un masters professionnel en ingénierie, un masters de recherche, tous obtenus avec des résultats plus qu’honorables. Je n’ai donc personnellement aucun intérêt à leur disparition, et pourtant…

Que s’est-il passé à ce séminaire ? Carl Rogers indique, selon ses propres mots, que son partage a provoqué un tumulte, avec une émotion intense, que les participants au séminaire ont eu l’impression qu’ils étaient attaqués dans leur profession et qu’il disait des choses qu’il ne pouvait pas croire. On lui a aussi dit ce commentaire : « Vous avez empêché bien des gens de dormir, hier soir ! ». Moi, j’ai très bien dormi après avoir lu le chapitre. En lisant ces propos, je n’ai pas été surprise. Mon rire est la conséquence de la représentation de la scène, des vraisemblables incompréhensions qui en ont découlé, du caractère insolite du contenu aux oreilles de l’assemblée.

6.3. Mes pensées personnelles sur l’apprentissage

Des pensées personnelles à ce sujet me viennent : des cours particuliers improvisés, des soutiens pour d’autres élèves ou étudiant·es, ma méthode personnelle pour apprendre, et notamment l’importance que j’accorde à la manière d’apprendre, où j’estime que le cours principal pour soi est « apprendre à apprendre ». Une formule me vient pour éclairer ma pensée :

« Il y a une pédagogie personnelle pour apprendre à acquérir par soi-même, mais il n’y a pas de pédagogie pour enseigner. ».

Et, donc, j’ai été ravie de lire ce chapitre, d’écouter le point de vue de Carl Rogers sur ce thème « Enseigner et apprendre », celui d’un enseignant, d’un psychologue et d’une personne sensible à cette question.

7. Des citations marquantes de Carl Rogers

Pour finir ce billet personnel sur cette œuvre de Carl Rogers, je partage huit autres citations marquantes de Carl Rogers, remarquables à mes yeux et à mes oreilles :

Sur l’investissement dans les sciences sociales :

« J’attends le jour où nous investirons l’équivalent du coût d’une ou deux fusées dans la recherche d’une compréhension plus adéquate des relations humaines. »

Carl Rogers, Le développement de la personne, Au lecteur, p. XIX.

Sur l’état actuel des connaissances :

« Nous possédons déjà les connaissances qui, mises en application, aideraient à diminuer les tensions soulevées par les problèmes industriels, raciaux et internationaux qui existent à l’heure actuelle. »

Carl Rogers, Le développement de la personne, Au lecteur, p. XIX.

Sur ses espoirs :

« Je suis de plus en plus convaincu que nous finirons par découvrir, en ce qui concerne la personnalité et le comportement, des lois aussi significatives pour la compréhension humaine ou le progrès humain que celles de la gravité et de la thermodynamique. »

Carl Rogers, Le développement de la personne, chap. 1 « Qui je suis », p. 13.

« Si je réussis à faire comprendre à un nombre important de gens les ressources des connaissances inemployées déjà disponibles dans le domaine des relations interpersonnelles, je me considérerai alors comme hautement récompensé. »

Carl Rogers, Le développement de la personne, Au lecteur, p. XX.

Sur l’expérience personnelle et l’autorité :

« Ni la Bible, ni les prophètes – ni Freud, ni la recherche – ni les révélations émanant de Dieu ou des hommes – ne sauraient prendre le pas sur mon expérience directe et personnelle. »

Carl Rogers, Le développement de la personne, chap. 1 « Qui je suis », p. 20.

« Ce n’est pas parce qu’elle est infaillible que mon expérience fait autorité. Elle est la base de toute autorité parce qu’elle peut toujours être vérifiée par des moyens primaires. C’est pourquoi ses fréquentes erreurs – sa faillibilité – peuvent toujours être corrigées. »

Carl Rogers, Le développement de la personne, chap. 1 « Qui je suis », p. 21.

Sur le processus de changement :

« […] ce curieux paradoxe qui fait que c’est au moment où je m’accepte tel que je suis que je deviens capable de changer. »

Carl Rogers, Le développement de la personne, chap. 1 « Qui je suis », p. 15.

Sur les interactions sociales :

« J’ai acquis la conviction que mieux un individu est compris et accepté, plus il a tendance à abandonner les fausses défenses dont il a usé pour affronter la vie, et à s’engager dans une voie progressive.»

Carl Rogers, Le développement de la personne, chap. 1 « Qui je suis », p. 21.

8. L’ECP et les conditions facilitatrices pour aider

Durant mon analyse de l’œuvre, j’ai évoqué les six conditions facilitatrices qui permettent de mener à bien une relation d’aide ou une relation thérapeutique. Je m’y intéresse pour aider au mieux les autres en comprenant le processus de changement qui opère pour la personne aidée. Parmi elles, mon attention se porte alors particulièrement sur les trois conditions nodales : l’empathie, la congruence et la considération positive inconditionnelle. Pour me les rappeler, j’utilise un moyen mnémotechnique, un sigle en trois lettres : ECP, très proche de l’ACP. Ce choix que j’estime astucieux facilite ainsi leur mémorisation et leur résurgence. Et, donc, maintenant, d’avoir l’envie de partager, d’éclairer à ma façon les trois attitudes facilitatrices. Pleine lumière sur l’ECP !

8.1. L’empathie

E pour Empathie.

8.1.1. Définitions de l’empathie

Définition de l’empathie dans un dictionnaire

Pour commencer, je partage la définition du dictionnaire Le petit Robert. Un rituel, une routine comme une ritournelle joyeuse.

D’abord, regardons l’étymologie : de en- « dedans » et -pathie « ce qu’on éprouve ». en- Élément, du latin in- et im-, de in « dans », servant, avec le radical substantif qu’il précède, à la formation de verbes composés qui devient em- devant b, m, p. -pathie, -pathique, -pathe Groupes suffixaux, du grec -patheia, -pathês, de pathos « ce qu’on éprouve ». Puis, lisons la définition proprement dite : « En philosophie, en psychologie : faculté de s’identifier à quelqu’un, de ressentir ce qu’il ressent. ». Je trouve cette définition assez vague et imprécise et peut s’appliquer à d’autres mots comme l’identification ou même la compassion.

Définition de l’empathie par Carl Rogers

Je partage maintenant la définition de Carl Rogers :

« L’empathie consiste à saisir avec autant d’exactitude que possible, les références internes et les composantes émotionnelles d’une autre personne et à les comprendre comme si l’on était cette autre personne. Sans jamais perdre de vue le ‘comme si’. »

Café psycho Les déclinaisons de l’empathie, animé par Françoise Mariotti, 16 mai 2013.

Ma définition personnelle de l’empathie

Et, puis, à présent, je partage la mienne, construite après plusieurs lectures et en choisissant ‘mes mots pour le dire’ :

« L’empathie est la faculté de pouvoir se mettre à la place d’une autre personne, découvrir ainsi son univers personnel, son état émotionnel, sa manière de pensée, son être dans sa globalité, avec son référentiel à elle, en mettant son ego de côté et sans être affecté·e par cette mise en relation. »

Sonia Kanclerski, article Le développement de la personne, Pause-café chez Sonia, 30 avril 2021.

8.1.2. Espace sémantique de l’empathie

A l’aide d’un outil linguistique, je présente aussi un espace sémantique du mot empathie. Trois mots se démarquent : compassion, identification et sollicitude. La compassion est de se saisir uniquement des émotions ressenties par la personne écoutée et d’en être touché·e. L’identification est la faculté de pouvoir comprendre l’autre personne en étant cette autre personne, en omettant le « comme si ». La sollicitude est un soin affectueux, un comportement attentif envers la personne sans considération particulière pour la compréhension.

8.1.3. L’empathie et l’écoute empathique

Qu’est-ce que l’empathie ? J’ai déjà partagé des définitions. J’y ajoute quelques qualificatifs personnels ou idées connexes en lien avec la notion d’empathie. Pour moi, l’empathie est aussi une capacité intellectuelle de transposition, le plus haut niveau d’écoute, une manière d’explorer l’humain, une interrogation à notre rapport au monde et à notre propre comportement, un outil de communication qui fournit des informations sur l’état émotionnel, sur le comportement, sur les actions d’une personne et enfin un cadeau pour soi ou pour les autres.

Qu’est-ce que j’écoute quand je m’écoute, quand j’écoute ce qu’il se passe en moi ? Mon ressenti émotionnel : mes émotions, mes sentiments quand elles durent, un trouble ou une tempête émotionnelle quand les émotions sont plurielles et intenses, mes pensées, mes sensations corporels (respiration, gargouillis, tensions des muscles…), du brouhaha en cas de nuisances externes, un silence reposant, l’harmonie ou une dissonance quand il y a une.

Qu’est-ce que j’écoute quand je pratique l’écoute empathique, quand j’écoute l’autre ? L’univers personnel de l’autre : sa manière d’être, les mots et les silences, le vocabulaire utilisé, le registre, les émotions de l’instant, des sons : la respiration, le rythme cardiaque, et aussi du bruit en fond quand il y en a.

« On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. »

Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince.

8.1.4. Les freins à l’écoute empathique

Quels sont les freins à l’écoute empathique ? Les principaux dangers que j’ai identifiés sont les nuisances internes et externes (un trouble émotionnel, des perturbations sensorielles comme le bruit, les mauvaises odeurs…), un état de santé trop faible, un comportement inadapté, inadéquat, suffisant ou insuffisant, l’identification, la projection et un autre danger dont je n’ai pas pu trouver un nom pour le qualifier.

En effet, on peut difficilement écouter une personne si le bruit d’un marteau-piqueur se fait entendre ou si l’on ressent personnellement un sérieux trouble émotionnel en venant d’apprendre une mauvaise nouvelle par exemple.

De même, si on est particulièrement fatigué·e ou malade, on pourra difficilement réunir les ressources personnelles pour pratiquer l’écoute empathique comme pour d’autres activités d’ailleurs. Toujours tenir compte de son propre état de santé dans son écoute de l’autre et le communiquer s’il y a lieu.

Avoir un comportement inadapté, inadéquat, suffisant ou insuffisant : donner des conseils, des suggestions, nier, relativiser, être trop intrusif, enquêter et donner sa solution, ramener à soi, ne pas accueillir l’autre, ne pas donner un espace suffisant pour l’autre et faire du « moi, je », être dans les excès : ne pas écouter assez ou être trop proche et dans la compassion, être trop confiant et être négligent·e sur les références internes de l’autre personne, être défaitiste dans l’écoute et penser que l’empathie est seulement un outil pour les professionnel·les de l’écoute.

L’identification est une posture intéressante mais inappropriée pour un échange, notamment dans le cadre d’une relation d’aide, car il n’y a pas de recul, de distance sécure : être trop loin ne permet pas la compréhension, être trop près non plus. La projection est d’utiliser des éléments personnels de son propre univers, de faire de l’extrapolation, de se rattacher à ce qui est connu pour soi pour espérer se rapprocher le plus possible de ce que vit l’autre sauf que l’univers de l’autre personne peut être différent, voire même disjoint. Attention à ne pas écouter ce que l’on a envie d’écouter ou de comprendre, de faire des raccourcis cognitifs sur les faits ou  émotionnels à partir de son ressenti qui est a minima subjectif.

Le dernier danger que je n’ai pas su nommer est le fait de prendre en considération toutes les composantes de l’univers de l’autre personne sauf ses émotions. L’espace sémantique de ce danger non qualifié serait : flegme, équanimité, impassibilité, froideur, cynisme, détachement.

Je propose deux exemples pour illustrer ce danger. Le premier exemple est de raconter la guerre dans la peau du narrateur sans exprimer la moindre émotion. « Durant le XXe siècle, la Seconde Guerre mondiale a fait environ soixante millions de victimes. » qui n’est pas tout à fait la même chose que « Une autre terrible guerre se déclare tristement et malheureusement pour notre humanité durant le XXe siècle, plus sanglante et meurtrière que la précédente. Elle annihile environ soixante millions d’êtres humains et il est fait usage de la monstrueuse bombe atomique. ». Il s’agit d’une compréhension des faits bruts sans les émotions, ou sans tenir compte de leurs effets sur la personne écoutée, ou en les dénigrant, ou aussi en les minimisant. Ce serait une lecture froide et « à froid » de l’univers de l’autre personne, alors que la compassion serait une lecture chaleureuse en se focalisant uniquement sur le ressenti émotionnel. Le deuxième exemple est de poser une question à une personne dont on sait d’avance la réponse, mais pas toute la réponse. « Aimes-tu le genre policier ? Oui, je suis une passionnée d’Agatha Christie. ». L’intérêt de la réponse est sur comment la personne répond oui : en manifestant de l’enthousiasme, en montrant de la retenue ou en étant visiblement indifférente. Si on ne tient pas compte de l’émotion, on n’a pas toute la réponse ; on n’en a qu’une partie et je dirai même qu’elle est erronée car incomplète.

Je fais le constat que le danger le plus grand pour moi est l’identification. Pour les autres dangers : l’état de santé, le ressenti du souci, la lassitude, les lourdeurs quotidiennes, le manque d’espace-temps à soi, un projet qui tient à cœur et prend trop d’espace.

Et pour mon entourage, je cite le « danger sans qualificatif » et la projection. Je note que l’identification est une faculté que je retrouve souvent chez les personnes passionnées de lecture. J’ai le sourire en écrivant cette dernière phrase. Quand je peux pratiquer l’écoute empathique, j’ai le sentiment d’y arriver plutôt bien. En cas de difficulté, il m’arrive d’utiliser des techniques pour être en harmonie avec moi-même : l’introspection ou analyse intime de l’être, la méditation pleine conscience, la sophrologie. Ces techniques me permettent ainsi de me mettre dans un état satisfaisant pour la pratique de l’écoute empathique.

8.1.5. Aparté : une note personnelle sur la méditation pleine conscience

Une petite note sur la méditation pleine conscience. Je ris de comment on en parle ou ce que l’on en dit dans les revues spécialisées car c’est très loin de ce que je fais et pourtant j’écoute que je suis dans le vrai. J’ai envie de commencer de faire une liste de ce que la méditation pleine conscience n’est pas. La méditation pleine conscience, ce n’est pas de prendre la position du lotus et de s’obliger à rester silencieux une certaine durée, ce n’est pas faire du yoga en écoutant de la musique zen, ce n’est pas avoir des pensées philosophiques sages à la façon d’un moine bouddhiste… Moi, j’appelle ces actions se faire violence. Je suis dure mais je partage mon avis personnel, pour ce qu’il vaut bien entendu. Alors, c’est quoi, toi qui fait la maligne ? Non, je proteste. J’essaie d’écouter au mieux. Alors, pour moi, la méditation pleine conscience, c’est « s’écouter dans l’instant présent en se respectant. ». Une écoute profonde centrée sur soi et dans l’instant présent. Tout simplement. Pas question de réprimer la colère ou de nier la tristesse. Surtout pas. Je choisis pour mettre fin à cette petite note de reprendre les mots d’un professionnel de l’écoute qui la pratique :

« Laisse partir ce qui doit partir pour laisser venir ce qui doit venir. »

Séminaire expérientiel Carl Rogers, Aspet, mars 2017.

8.1.6. Mon expérience personnelle de l’écoute empathique

Avec le recul, j’ai la sensation que ma relation gémellaire, telle qu’elle a pu se développer, a grandement contribué pour moi à stimuler l’utilisation des neurones miroir. La découverte de l’univers interne d’une autre personne m’est donc facilitée. Il m’arrive quelquefois de deviner, de comprendre, de saisir des éléments en profondeur dès le premier contact, même malgré moi. Je l’explique par le soin que je prends pour utiliser ce formidable outil de communication.

J’essaie d’être dans l’écoute empathique dès que les circonstances le justifient. Je développe donc cette faculté au fil du temps en pleine conscience. Mais… C’est quoi ce mais… Je me sens bien seule dans cette démarche. Mes proches ne saisissent pas l’importance et sous-estiment les bienfaits d’une telle écoute. Quant aux lointains, les connaissances et les personnes inconnues qu’il m’arrive de côtoyer, je note son absence pure et simple. Terrible constat. Couper la parole, montrer de l’indifférence, occuper l’espace de communication avec des banalités ou des futilités, ne jamais se poser pour parler, être dans la sensation que les interlocuteurs et les interlocutrices ont un train à prendre, expédier le sujet vite fait, mal fait sont ainsi des attitudes communes dans tous mes cercles. A mon grand désarroi personnel. Parler des droits humains, des violences, des injustices, des sujets à forts enjeux est donc quasi impossible. Je me demande même si ce n’est pas la cause première d’un sujet tabou : le défaut d’empathie. C’est presque une convention implicite de vie sociale : on ne parle pas des sujets qui dérangent. Et ainsi on est sûr de ne jamais trouver des solutions. Donc, c’est une convention asociale en fait. Tristement. Je soupire de détresse.

En quoi est-ce important de pouvoir écouter avec empathie ? Quand on n’écoute pas ou mal, on ne peut pas écouter que l’on n’écoute pas, ou mal. On ne peut pas conscientiser, se rendre compte, être dans la juste proximité. La communication est alors biaisée, altérée et les conséquences peuvent être fâcheuses selon le degré d’importance du message.

Un aparté sur l’empathie avec une série télévisée : Good Doctor. Dans un épisode intitulé Les limites de l’empathie, le docteur Shaun Murphy pose la question du rôle de l’empathie dans le métier d’un thérapeute. Le médecin étant atteint du syndrome d’Asperger est en déficit de neurones miroir et donc ne peut pas pratiquer l’écoute empathique ou faire preuve d’empathie en communication. C’est un sérieux handicap pour exercer son métier… sauf que je considère qu’il s’en sort pas si mal… Pourquoi ? Du fait de son rapport à l’empathie. Au fil du temps, il prend conscience de ce manque dans l’exercice de son métier et en parle d’ailleurs avec ses collègues. Il finit par en tenir compte dans son comportement : il communique en intégrant le défaut d’empathie. A contrario, les autres qui peuvent pratiquer l’écoute empathique en font un usage maladroit et donc communiquent mal. L’empathie est un (fabuleux !) outil de communication qui peut se travailler, pour peu qu’on comprenne son rôle dans la communication et qu’on y accorde du temps. De l’importance de pouvoir porter attention à l’utilisation bienveillante de l’empathie, à son défaut d’utilisation ou aussi à une utilisation perverse pour faire mal.

Pour arriver à écouter avec empathie, je partage quelques actions que j’essaie d’appliquer. Se familiariser, à défaut de maîtriser les outils permettant de s’écouter plus ou moins en profondeur. Se poser, trouver l’espace et le temps régulièrement, planifier du temps pour l’autre. Montrer à la personne écoutée de la présence, de l’attention et de la délicatesse dans son expression et dans son comportement. Évaluer son écoute sans se juger. Et aussi… Ne pas rechercher la réussite. On sait qu’être écouté et compris est compliqué. Se comprend-on soi-même totalement ? Donc, sentir qu’une personne essaie de le faire est déjà formidable en soi. C’est pourquoi je considère l’écoute empathique comme un cadeau.

8.1.7. Le poème Peux-tu simplement écouter ?

Pour en finir avec la première initiale de l’ECP, je partage un poème sur l’écoute empathique d’un auteur anonyme indien, intitulé Peux-tu simplement écouter ?, croisé plusieurs fois et retrouvé sur cairn.info, une bibliothèque numérique des sciences sociales.

« Quand je te demande de m’écouter et que tu commences à me donner des conseils, tu n’as pas fait ce que je te demandais.
Quand je te demande de m’écouter et que tu commences à me dire pourquoi je ne devrais pas ressentir cela, tu bafoues mes sentiments.
Quand je te demande de m’écouter et que tu sens que tu dois faire quelque chose pour résoudre mon problème, tu m’as fait défaut, aussi étrange que cela puisse paraître.
Écoute, tout ce que je te demande, c’est que tu m’écoutes. Non que tu parles ou que tu fasses quelque chose : je te demande uniquement de m’écouter.
Les conseils sont bon marché, pour quelques sous, j’aurai dans le même journal le courrier du cœur et mon horoscope.
Je veux agir par moi-même, je ne suis pas impuissant, peut-être un peu découragé ou hésitant, mais non impotent.
Quand tu fais quelque chose pour moi, que je peux et ai besoin de faire moi-même, tu contribues à ma peur, tu accentues mon inadéquation.
Mais quand tu acceptes comme un simple fait que je ressens ce que je ressens (peu importe la rationalité) je peux arrêter de te convaincre, et je peux essayer de commencer à comprendre ce qu’il y a derrière ces sentiments irrationnels.
Lorsque c’est clair, les réponses deviennent évidentes et je n’ai pas besoin de conseils.
Les sentiments irrationnels deviennent intelligibles quand nous comprenons ce qu’il y a derrière.
Peut-être est-ce pour cela que la prière marche, parfois, pour quelques personnes, car Dieu est muet. Il ou Elle ne donne pas de conseils. Il ou Elle n’essaye pas d’arranger les choses. Ils écoutent simplement et te laissent résoudre le problème toi-même.
Alors, s’il te plaît, écoute et entends-moi. Et si tu veux parler, attends juste un instant et je t’écouterai. »

Peux-tu simplement écouter ? d’un auteur anonyme indien.
Approche Centrée sur la Personne. Pratique et recherche 2008/1 (n° 7), page 60.
https://www.cairn.info/revue-approche-centree-sur-la-personne-2008-1-page-60.htm

8.2. La congruence

C pour Congruence.

Le mot qui me vient aussitôt à l’esprit après celui de congruence est authenticité. Ce que je confie est mon interprétation personnelle de ce que je comprends. Il s’agit de tenir compte pour la personne qui écoute de son état général dans l’instant présent et, en cas de besoin, de le communiquer à la personne écoutée. Pouvoir écouter sans masque, sans filtre ou sans que la personne écoutée perçoive ou croit en percevoir un. L’écoute empathique doit ainsi se faire, dans la mesure du possible, sans que l’état de la personne qui écoute soit une gêne pour la personne écoutée. La congruence : l’état authentique, écoutable, harmonieux, partageable de son être dans l’instant présent ? La deuxième condition nodale contribue donc selon moi à créer un cadre rassurant, à faire naître un climat de confiance, à inviter au partage, à s’ouvrir dans le dialogue. J’ai relevé une situation où la congruence est utile en communication : quand l’écoute empathique devient impossible à cause d’un trouble émotionnel ou d’un changement brutal d’état dû aux paroles écoutées, trop violentes, blessantes, dérangeantes. Alors, dire, partager l’état de son être à la personne dont les paroles ont ému permet d’inviter à la réflexion, de questionner celle-ci sur le contenu du propos, son caractère blessant, et ainsi, contribuer à un échange plus en délicatesse. C’est très dur à faire en pratique mais s’en rendre compte permet de conscientiser les limites à son écoute empathique.

8.3. La considération positive inconditionnelle

P pour considération Positive inconditionnelle ou regard Positif inconditionnel.

Pour moi, la considération positive inconditionnelle constitue l’expression du respect et de la dignité humaine, l’amour de l’humain dans toutes ses dimensions, l’acceptation de toutes les facettes de l’humanité sans jugement aucun.

Cette troisième condition nodale interroge les limites de la personne qui écoute. Que peut-elle écouter ? Un crime, dix crimes, mille crimes ? Un enfer, dix enfers, mille enfers ? Comment accueillir l’indicible, l’insupportable, la monstruosité, l’inhumanité ? La réponse est précisément la considération positive inconditionnelle. Un bref commentaire sur les trois termes de l’expression : la considération a une connotation plus forte que le respect ; l’adjectif positive transmet l’idée de quelque chose de pas neutre, de faire grandir la flamme de l’humanité ; l’utilisation de l’adjectif inconditionnelle est paradoxal car l’écoute se fait toujours dans un cadre forcément limitant, notamment pour garantir la qualité de l’écoute ; en fait, je le comprends comme le fait d’accepter la noirceur dans la mesure de son possible et du respect du cadre défini. La personne qui écoute et la personne écoutée sont des êtres humains.

Un petit aparté : j’écoute souvent que « le respect se gagne ». Je ne suis pas d’accord avec cette expression. A mon sens, le respect doit exister de base : c’est précisément lui qui permet de ne pas nuire, de ne pas faire mal, de ne pas dégrader ou vandaliser, d’éviter de commettre des actes violents. Le respect représente à mes yeux la valeur seuil de l’humanité. La considération, la reconnaissance, l’estime peuvent s’obtenir par la suite. Et puis je confie aussi que je déteste l’utilisation du verbe gagner dans l’expression, surtout dans ce contexte où il est question de dignité humaine. Je suis lasse de la notion de combat, de compétition, de performance, comme si la victoire, le gain, le prestige était le Graal ou la panacée dans une vie humaine. Je soupire d’exaspération.

Voilà pour mon partage sur trois lettres : ECP, porté par une joie XXL. Je ris en jouant avec les lettres.

9. Des réserves sur l’œuvre ?

Je partage une analyse enjouée de cette œuvre de Carl Rogers où l’on pourrait me reprocher un manque d’objectivité. Non. Je considère en effet que je prends le recul nécessaire et suffisant sur le contenu, même si celui-ci est inconnu, inattendu, déroutant. D’ailleurs, j’essaie toujours de scruter les possibles failles dans une étude scientifique. J’ai juste envie de partager une remarque, que je ne considère pas comme une critique, ce qui en dit long sur ce je pense de la qualité de l’œuvre. J’estime en effet cette œuvre brillante, rayonnante, lumineuse, éclairante, inspirante.

En fait, ma remarque porte sur le choix du vocabulaire utilisé et l’usage qui en est fait selon le métier et la discipline concernée par le contenu. Je suis ingénieure et Carl Rogers est psychologue. Je fais le constat que la compréhension de certains mots peut être altérée par une utilisation différente du mot en question.

Je cite deux exemples pour matérialiser mon propos. Le premier exemple porte sur les mots direction et sens. Dans la vie courante, on les utilise souvent avec la même signification. Pour un·e mathématicien·ne, ces deux mots ont pourtant une définition bien distincte. Un tiroir d’une commode se déplace sur un même axe, dans une même direction mais dans deux sens différents : soit on le tire, soit on le pousse. Dans la rue, quand on cherche son chemin, on dit plutôt que l’on s’est trompé de direction, et non de sens. Le deuxième exemple porte sur les mots poids et masse. Dans la vie quotidienne, dans les carnets de santé, sur les balances, on utilise le terme poids avec une unité exprimée en kg. C’est un abus de langage et serait faux pour un·e physicien·ne. En effet, le poids se mesure en newtons (N) alors que la masse s’exprime en kilogrammes (kg). Si la masse est à peu près constante dans tout l’Univers (sauf cas extrêmes), le poids varie selon la force de gravitation. Un lien relie le poids et la masse avec la formule suivante : P = m x g (poids = masse x gravitation). g vaut 9,807 sur notre planète et 1,62 sur la Lune, ce qui explique pourquoi on se sent plus léger sur notre satellite car sa force d’attraction est six fois moindre.

Bien évidemment, la remarque que j’évoque là n’est pas propre à cette œuvre mais concerne toutes celles qui traitent de disciplines scientifiques variées avec des écrivain·es, des lectrices et lecteurs aux multiples horizons, imprégné·es par une culture plus ou moins proche. Sans compter la distance linguistique mais on peut faire confiance aux traductrices et aux traducteurs pour être fidèles aux mots de l’auteur. J’ai fait le choix d’avoir la version originale de cette œuvre On becoming a person pour pouvoir écouter directement Carl Rogers et son propre choix des mots pour dire.

10. Les groupes de rencontre

Ce chapitre sur les groupes de rencontre constitue un partage non traité à proprement parlé dans l’ouvrage Le développement de la personne. J’ai décidé de l’ajouter à cet article car Carl Rogers a conduit de nombreux groupes de rencontre et a écrit un ouvrage sur le sujet : Les groupes de rencontre. Animation et conduite de groupes.

10.1. Définition d’un groupe de rencontre par Carl Rogers

Qu’est-ce qu’un groupe de rencontre selon Carl Rogers ?

Le groupe de rencontre réunit un ensemble de personnes pour aller à la rencontre de soi et d’autrui. Il permet de s’enrichir des expériences et de la sensibilité des autres. Chaque personne arrive et participe avec ce qu’elle est dans l’ici et maintenant. La présence d’une personne facilitatrice, accompagnatrice engagée et attentive aux vécus et aux ressentis des membres du groupe, contribue à la création d’un climat de respect, de confiance et de sécurité.

Carl Rogers précise :

« Ce qui pousse les gens vers le groupe de rencontre : c’est une faim de relations profondes et vraies dans lesquelles sentiments et émotions peuvent s’exprimer spontanément sans être plus ou moins étouffés ou prudemment censurés ».  

Carl Rogers. Les groupes de rencontre. Animation et conduite de groupes. Dunod (1973).

Ce qu’il dit sur le groupe :

« Dans un climat de liberté et d’aide, les membres d’un groupe deviennent plus spontanés, plus souples, plus proches de leur vécu, plus ouverts à leur propre expérience et ils aboutissent à des échanges interpersonnels plus profonds. Et c’est bien là le type d’être humain que l’on trouve à l’issue d’un groupe de rencontre. »

Carl Rogers. Les groupes de rencontre. Animation et conduite de groupes. Dunod (1973).

10.2. Le film documentaire Journey Into Self

En surfant sur le web pour en savoir plus, je fais la découverte d’un film documentaire Journey Into Self, réalisé par Tom Skinner, produit par Bill McGaw et sorti en 1968. Les docteurs Carl Rogers et Richard Farson mènent une séance de thérapie de groupe avec huit personnes : parmi elles, trois hommes d’affaires, un étudiant en théologie, un professeur, un directeur d’école, une femme au foyer et un employé. Ce film documentaire a reçu l’Oscar du meilleur film documentaire en 1969. J’ai regardé quelques extraits en version originale. J’espère pouvoir un jour prendre le temps de le traduire moi-même en français, n’ayant pas trouvé de sous-titrage.

11. Conclusion : les mots de la fin de mon partage

Donc, cela n’a pas été une surprise d’apprendre que Carl Rogers a été nominé pour recevoir le prix Nobel de la Paix pour ses travaux, son œuvre et son action en faveur du processus de paix, notamment au Costa Rica et en Afrique du Sud. Malheureusement, il meurt cette même année, en 1987.

Une remarque personnelle en passant : le titre de l’ouvrage de Carl Rogers est objectivement signifiant. Il dit comment un être humain peut grandir, de personne il peut devenir une personne. Comme si l’humanité est un fluide dont il faudrait apprendre à se remplir.

Ce que je confie ici sur Le développement de la personne est une exploration personnelle. J’ai croisé la route des travaux de Carl Rogers en questionnant l’état des connaissances et des recherches en sciences sociales et sur le comportement humain. Je n’ai suivi aucun cours d’une université ou d’un institut. Ce que j’ai pu analyser, comprendre et ce que je partage maintenant dans cet article se base donc sur une démarche déterminée, engagée et soignée pour comprendre l’œuvre de Carl Rogers. Celle-ci constitue à mes yeux une sorte de phare salutaire vers lequel je regarde lorsque je me sens perdue, désorientée, perplexe sur ce que je vis ou que je n’arrive pas à me projeter dans le futur.

Merci Carl Rogers pour votre œuvre si rayonnante à mes oreilles ! J’ai été ravie de vous écouter. J’ai le sentiment que je croiserai à nouveau vos travaux d’une manière ou d’une autre, pour d’autres partages et écoutes plurielles. Alors, à bientôt !

Sonia Kanclerski, article mis à jour le 25/02/2024.

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